Une irrégularité dans le processus de nomination engage la responsabilité de l’employeur
Dans une affaire, un hôpital de Mayotte informe une femme que son contrat ne sera pas renouvelé au-delà de son terme le 31 décembre 2010. Elle présente donc sa candidature à un recrutement sans concours comme adjointe administrative de 2e classe. Son nom figurant sur la liste des candidats déclarés aptes conformément à la réglementation applicable, elle demande à être nommée au plus tôt. Cependant, dans un entretien le 20 mai 2010, le directeur refuse catégoriquement de la nommer, provoquant son arrêt dès le lendemain jusqu’au terme de l’engagement. Elle réclame près de 212 000 € pour refus de nomination, indemnisation de ses congés de maladie et harcèlement moral.
L’illégalité des critères de nomination
La cour relève que les dispositions réglementaires prévoient une audition publique des candidats avant l’établissement d’une liste de classement par ordre de mérite définissant l’ordre de nomination. Or, le directeur, s’appuyant sur un accord avec les organisations syndicales et accepté par l’Agence régionale de santé retenant d’autres critères de priorité, déroge à l’obligation de nomination dans l’ordre de la liste. Compte tenu du nombre de postes disponibles, la femme devait être nommée et le refus de l’employeur engage sa responsabilité.
Pour évaluer le préjudice, la cour relève que la femme ne demande pas la réparation de la perte de chance de réaliser une carrière complète dans la fonction publique hospitalière, mais de l’absence de rémunération ou d’allocations de chômage entre la fin de son contrat et le 30 avril 2011, date d’accès à un nouvel emploi. En l’absence de faute de la salariée, la cour lui reconnaît un droit à réparation pour la différence entre sa rémunération de contractuelle et celle d’adjointe administrative jusqu’au terme de son contrat, hors frais, charges ou contraintes liés à l’exercice des fonctions, ce qui limite l’indemnité au traitement et à l’indemnité supplémentaire propre à Mayotte. Le juge écarte toute objection de l’hôpital, estimant que l’agent connaissait parfaitement les pratiques de nomination et ne saurait s’en plaindre.
Attention : l’accord ne saurait atténuer la responsabilité de l’hôpital ni limiter le montant de l’indemnisation. Compte tenu par ailleurs des pressions organisées par ce dernier sur le médecin traitant de l’agent, la cour confirme les 10 000 € accordés par le tribunal.
CAA Bordeaux n° 14BX00545 Mme A du 12 janvier 2016.
Pierre-Yves Blanchard le 06 mars 2018 - n°1573 de La Lettre de l'Employeur Territorial

N° 14BX00545
2ème chambre (formation à 3)
M. PEANO, président
M. Bernard LEPLAT, rapporteur
M. KATZ, rapporteur public
SELARL CADRAJURIS, avocat
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A...B...a demandé au tribunal administratif de Mayotte de condamner le centre hospitalier de Mayotte à lui verser diverses indemnités en réparation des préjudice subis du fait du refus de la nommer en qualité d'adjoint administratif stagiaire et d'autres agissements de l'établissement.
Par un jugement n° 1200304 du 19 décembre 2013, le tribunal administratif de Mayotte a condamné le centre hospitalier de Mayotte à verser à Mme B...une indemnité de 10 000 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 février 2014, présentée par Me Deniau, avocat, le centre hospitalier de Mayotte, représenté par son directeur en exercice, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1200304 du 19 décembre 2013 du tribunal administratif de Mayotte, ou subsidiairement, de le réformer en réduisant le montant de l'indemnité mise à sa charge ;
2°) de mettre à la charge de Mme B...la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires, ensemble la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;
- le décret n° 90-839 du 21 septembre 1990 portant statuts particuliers des personnels administratifs de la catégorie C de la fonction publique hospitalière ;
- le décret n° 91-155 du 6 février 1991 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels des établissements mentionnés à l'article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 15 décembre 2015 :
- le rapport de M. Bernard Leplat,
- les conclusions de M. David Katz, rapporteur public,
- et les observations de Me Deniau, représentant le centre hospitalier de Mayotte.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B...a été informée de ce que le contrat à durée déterminée par lequel elle avait été recrutée par le centre hospitalier de Mayotte ne serait pas renouvelé à son terme, le 31 décembre 2010. Elle a présenté sa candidature au recrutement sans concours dans le grade d'adjoint administratif de 2ème classe organisé par cet établissement en application du II de l'article 12 du décret n° 90-839 du 21 septembre 1990. Son nom figurant sur la liste des candidats déclarés aptes, elle a demandé à être nommée dès que possible en qualité d'adjoint administratif de 2ème classe stagiaire lors d'un entretien avec le directeur du centre hospitalier de Mayotte, le 20 mai 2010, à la suite duquel elle a considéré que sa demande avait fait l'objet d'un refus catégorique. Des arrêts de travail lui ont été prescrits par son médecin traitant de manière ininterrompue à partir du 21 mai 2010 et jusqu'au terme de son contrat. Estimant avoir fait l'objet de décisions illégales de refus de nomination en qualité d'adjoint administratif de 2ème classe stagiaire, de versement de son plein traitement du 1er au 21 septembre 2011 et de l'indemnité pour congés non pris, ainsi que de faits de harcèlement moral, elle a demandé au tribunal administratif de Mayotte de condamner le centre hospitalier de Mayotte à lui verser une indemnité de 211 586,63 euros en réparation des préjudices résultant de ces décisions et agissements. Par un jugement n° 1200304 du 19 décembre 2013, le tribunal administratif de Mayotte a condamné le centre hospitalier de Mayotte à verser à Mme B...une indemnité de 10 000 euros et a rejeté le surplus de ses demandes. Le centre hospitalier de Mayotte relève appel de ce jugement. Par la voie de l'appel incident, Mme B...demande à la cour de réformer ce jugement en augmentant la somme devant lui être allouée de 1 586,63 euros, correspondant au versement de son plein traitement du 1er au 21 septembre 2010 et au bénéfice de l'indemnité pour congés non pris.
2. En vertu du II de l'article 12 du décret n° 90-839 du 21 septembre 1990, à l'issue des auditions publiques des candidats, la commission à laquelle est confiée la sélection des candidats au recrutement sans concours dans le grade d'adjoint administratif de 2ème classe arrête par ordre de mérite, la liste des candidats déclarés aptes. Les candidats sont nommés dans l'ordre de la liste par l'autorité investie du pouvoir de nomination.
3. Il est constant que le nom de Mme B...figurait en deuxième position sur la liste des candidats déclarés aptes, arrêtée le 21 avril 2010 par la commission chargée de la sélection des candidats au recrutement sans concours dans le grade d'adjoint administratif de 2ème classe. Si, comme le soutient le centre hospitalier de Mayotte, son directeur n'était pas tenu de nommer les personnes dont le nom figurait sur cette liste, il ne pouvait, s'il choisissait de procéder à des recrutements sans concours dans le grade d'adjoint administratif de 2ème classe, le faire que dans l'ordre de la liste. Un accord retenant d'autres critères de priorité dans les nominations, conclu avec les organisations syndicales, même accepté par l'agence régionale de santé, ne pouvait pas lui permettre de déroger à cette règle. Il n'est pas contesté que Mme B...a demandé à être recrutée dans le grade d'adjoint administratif de 2ème classe, le 20 mai 2010 et qu'à cette date, son rang sur la liste imposait au directeur de faire droit à cette demande, dès lors qu'il n'est ni établi ni même allégué qu'il avait été pourvu à tous les emplois ouverts à ce recrutement au titre de cette année. Dans ces conditions, le centre hospitalier de Mayotte n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Mayotte a estimé que la décision de refus de nomination opposée à Mme B...était illégale.
4. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction.
5. Ainsi que le relève le jugement du 19 décembre 2013 du tribunal administratif de Mayotte, MmeB..., qui a été recrutée, à compter du 1er mai 2011 dans un autre établissement hospitalier, ne demandait plus, dans le dernier état de ses écritures, réparation du préjudice subi du fait de sa perte de chance de faire une carrière complète dans la fonction publique hospitalière et invoquait celui résultant de ce qu'elle était restée sans aucune rémunération jusqu'à son recrutement mentionné ci-dessus. Il n'est pas contesté qu'après le 31 décembre 2010, date de la fin de son contrat et jusqu'au 30 avril 2011, date après laquelle elle a occupé un nouvel emploi, Mme B...n'a pu bénéficier d'aucune allocation pour perte d'emploi. L'illégalité du refus de la nommer sans concours dans le grade d'adjoint administratif de 2ème classe résulte de la méconnaissance de son droit à être nommée. Ce refus est sans rapport avec une faute qui pourrait lui être reprochée. En vertu des principes rappelés au point précédent, Mme B...a donc droit à une indemnité correspondant d'une part, pour la période précédant la fin de son contrat, aux différences, s'il en existait et qui ne pouvaient être que minimes, entre les rémunérations auxquelles elle pouvait prétendre en qualité d'adjoint administratif de 2ème classe et en qualité de contractuelle et, d'autre part, pour la période du 1er janvier au 30 avril 2011, à la rémunération qu'elle aurait pu percevoir, à l'exception des primes et indemnités seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions, c'est-à-dire, à son traitement et à l'indemnité supplémentaire, en qualité d'adjoint administratif de 2ème classe stagiaire.
6. Le centre hospitalier de Mayotte soutient que, du fait des fonctions qu'elle exerçait, Mme B...ne pouvait pas ignorer la pratique adoptée pour la nomination, sans tenir compte de l'ordre de la liste arrêtée par la commission de sélection, des adjoints administratifs de 2ème classe stagiaires recrutés sans concours. Il ne saurait en résulter aucune atténuation, tant de la responsabilité de l'établissement en raison de l'illégalité de cette pratique, que du montant de l'indemnisation accordée par le jugement du 19 décembre 2013 du tribunal administratif de Mayotte en réparation des préjudices subis du fait de cette illégalité. Ce jugement a également indemnisé le préjudice subi par Mme B...du fait des pressions exercées par l'administration de l'hôpital sur son médecin traitant. Le centre hospitalier de Mayotte ne conteste ni la réalité de ce fait ni l'appréciation des premiers juges quant à l'existence d'un préjudice en résultant et quant à la fixation de son indemnisation.
7. Dans ces conditions, le centre hospitalier de Mayotte n'est pas fondé à soutenir qu'il ne pouvait pas être condamné à verser une indemnité à Mme B...ou que le tribunal administratif de Mayotte a accordé à celle-ci une indemnité d'un montant excessif.
8. Mme B...persiste à soutenir devant la cour qu'elle a fait l'objet d'autres décisions illégales, constitutives, avec divers agissements de la direction du centre hospitalier, d'un harcèlement moral dont elle aurait été victime. Toutefois, elle se borne à demander à la cour de réformer le jugement du 19 décembre 2013 du tribunal administratif de Mayotte en augmentant la somme devant lui être allouée de 1 586,63 euros, correspondant au versement de son plein traitement du 1er au 21 septembre 2010 et au bénéfice de l'indemnité pour congés non pris. Ainsi qu'il est dit aux points 7 à 10 des motifs de ce jugement, c'est par une exacte application du II de l'article 8 du décret n° 91-155 du 6 février 1991, dès lors qu'elle n'établissait pas qu'elle avait été empêchée d'épuiser ses droits à congés annuels par l'administration et de l'article 10 de ce décret, auquel il ne pouvait pas être légalement dérogé, que Mme B...n'avait bénéficié ni d'une indemnité pour congés non pris pendant son contrat, ni du versement d'un plein traitement après le 1er septembre 2010. Mme B...n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause le bien fondé du jugement sur ces points.
9. Il résulte de tout ce qui précède que ni le centre hospitalier de Mayotte, ni Mme B...ne sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 19 décembre 2013, le tribunal administratif de Mayotte a condamné le centre hospitalier de Mayotte à verser à Mme B...une indemnité de 10 000 euros.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Cet article fait obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions du centre hospitalier de Mayotte tendant à son application. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de condamner, en application de cet article, le centre hospitalier de Mayotte à verser à Mme B...une somme quelconque au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE
Article 1er : La requête du centre hospitalier de Mayotte et les conclusions d'appel incident de Mme B...sont rejetés.
Article 2 : Les conclusions de Mme B...tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Mayotte et à Mme A...B....
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