Maladie : un congé sans solde prolongé suppose une aptitude au travail
Pierre-Yves Blanchard le 04 juin 2013 - n°1355 de La Lettre de l'Employeur Territorial

N° 08MA04249
2ème chambre - formation à 3
M. GONZALES, président
M. Jean-Baptiste BROSSIER, rapporteur
Mme FEDI, rapporteur public
MOREAU, avocat
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour par télécopie le 18 septembre 2009, régularisée le 22 septembre 2009, présentée par Me Moreau, avocat, pour Mme Hélène A, demeurant ... ;
Mme A demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0605840 du 30 juin 2008 en tant que, par ce jugement, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires après avoir annulé pour vice de procédure la décision du 24 avril 2006 du directeur régional de la jeunesse et des sports du Languedoc-Roussillon prononçant son licenciement pour inaptitude physique ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 80 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis, augmentée des intérêts au taux légal et du produit de leur capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;
Vu le décret modifié n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents non titulaires de l'Etat pris pour l'application de l'article 7 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;
Vu le code civil ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu le décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 relatif au rapporteur public des juridictions administratives et au déroulement de l'audience devant ces juridictions ;
Vu l'arrêté du vice-président du Conseil d'Etat, en date du 27 janvier 2009, fixant la liste des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel autorisés à appliquer, à titre expérimental, les dispositions de l'article 2 du décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 16 novembre 2010 :
- le rapport de M. Brossier, rapporteur,
- les conclusions de Mme Fedi, rapporteur public,
- et les observations de Me Moreau pour Mme A ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le tribunal, s'il a annulé pour excès de pouvoir la décision en litige de licenciement pour inaptitude physique de Mme A au motif d'un vice de procédure, a ensuite rejeté les conclusions indemnitaires de l'intéressée en omettant de statuer sur les moyens qu'elle avait soulevés en première instance et qui, selon elle, entacheraient d'illégalité interne cette décision et seraient de nature par suite à justifier une indemnisation aux motifs de la violation de son droit à épuisement de ses congés, de la méconnaissance de l'obligation de rechercher un reclassement, d'une erreur manifeste d'appréciation et d'un acharnement de l'administration à son encontre ; qu'il y a lieu dans ces conditions pour la Cour d'annuler pour irrégularité le jugement attaqué en tant qu'il rejette les conclusions indemnitaires de Mme A et de statuer sur ces conclusions par la voie de l'évocation ;
Sur les conclusions indemnitaires de Mme A :
Considérant que Mme A, recrutée le 1er décembre 1993 comme agent d'entretien selon contrat à durée indéterminée, après une période de congés de grave maladie avec bénéfice du plein traitement du 18 décembre 1998 au 18 décembre 1999, prolongée avec mi-traitement d'abord jusqu'au 19 juin 2000 avant rectification au 17 mars 2000, a été licenciée une première fois pour insuffisance professionnelle par une décision du 15 mai 2000, laquelle a été annulée pour excès de pouvoir par la Cour de céans en juillet 2004 au motif qu'un tel licenciement, intervenu immédiatement après une longue période d'absence du service due à un congé pour grave maladie, ne pouvait être valablement fondé uniquement sur des faits relevés quatre ans auparavant et que, dès lors, le motif tiré de l'insuffisance professionnelle n'était pas établi ; qu'à la suite de cet arrêt, l'intéressée, réintégrée physiquement à compter du 1er septembre 2004, a été placée en position de congé de maladie ordinaire puis de congé sans solde, avant d'être licenciée pour inaptitude physique ;
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que Mme A n'apporte aucun élément de nature à établir sérieusement que l'administration aurait apprécié de façon erronée son état de santé et par suite son inaptitude physique définitive à exercer ses fonctions d'agent d'entretien ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction que l'administration intimée ne se trouvait pas en situation de compétence liée pour évincer l'intéressée, dès lors que le licenciement en cause a été pris au motif de l'inaptitude physique de l'intéressée à exercer ses seules fonctions, non toutes fonctions, et qu'elle se trouvait par suite dans l'obligation de rechercher un poste de reclassement adapté à l'état de santé de l'intéressée ; que l'administration intimée établit à cet égard de façon suffisamment sérieuse, eu égard aux tableaux des effectifs qu'elle produit et en l'absence de réplique sérieuse, qu'aucun poste adapté, notamment de standardiste, n'était vacant à la date de la décision attaquée au sein des services de la DRDJS de Languedoc Roussillon ; que si l'administration intimée indique n'avoir pas proposé à l'intéressée une possibilité de reclassement sur un poste pourtant vacant à la DRDJS des
Pyrénées-Orientales, compte tenu de l'éloignement de ce poste, l'appelante ne soutient pas qu'elle aurait fait acte de candidature sur un tel poste ; que, dans ces conditions, l'appelante n'établit ni que l'administration a méconnu son obligation de rechercher un reclassement, ni qu'elle avait une chance sérieuse d'être reclassée ;
Considérant, en troisième lieu, que l'appelante soutient que son droit à bénéficier d'un congé sans solde d'une durée totale d'un an, avant le licenciement pour inaptitude en litige, n'a pas été respecté ; qu'aux termes de l'article 12 du décret susvisé n°86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents non titulaires de l'Etat : L'agent non titulaire en activité bénéficie, sur présentation d'un certificat médical, pendant une période de douze mois consécutifs si son utilisation est continue ou au cours d'une période comprenant trois cents jours de services effectifs si son utilisation est discontinue, de congés de maladie dans les limites suivantes : (...) Après trois ans de services : - trois mois à plein traitement - trois mois à demi-traitement. ; qu'aux termes de l'article 13 dudit décret : L'agent non titulaire en activité employé de manière continue et comptant au moins trois années de service, atteint d'une affection dûment constatée, le mettant dans l'impossibilité d'exercer son activité, nécessitant un traitement et des soins prolongés et présentant un caractère invalidant et de gravité confirmée bénéficie d'un congé de grave maladie pendant une période maximale de trois ans.Dans cette situation, l'intéressé conserve l'intégralité de son traitement pendant une durée de douze mois. Le traitement est réduit de moitié pendant les vingt-quatre mois suivants.(...) L'agent qui a épuisé un congé de grave maladie ne peut bénéficier d'un autre congé de cette nature s'il n'a repris auparavant l'exercice de ses fonctions pendant un an. ; et qu'aux termes de l'article 17 du même décret : 1° L'agent non titulaire physiquement apte à reprendre son service à l'issue d'un congé de maladie, de grave maladie, d'accident du travail, de maladie professionnelle ou de maternité, de paternité ou d'adoption est réemployé dans les conditions définies à l'article 32 ci-dessous. 2° L'agent non titulaire temporairement inapte pour raison de santé à reprendre son service à l'issue d'un congé de maladie, de grave maladie, ou de maternité, de paternité ou d'adoption est placé en congé sans traitement pour une durée maximum d'une année. Cette durée peut être prolongée de six mois s'il résulte d'un avis médical que l'agent sera susceptible de reprendre ses fonctions à l'issue de cette période complémentaire.(...)A l'issue de ses droits à congé sans traitement prévus au 2° du présent article et à l'article 16 du présent décret, l'agent non titulaire inapte physiquement à reprendre son service est licencié. A l'issue de ses droits à congé sans traitement prévus au 2° du présent article et à l'article 16 du présent décret, l'agent non titulaire physiquement apte à reprendre son service est réemployé d ans les conditions définies à l'article 32 ci-dessous. Lorsque la durée de ce congé est égale ou supérieure à un an, l'agent non titulaire ne peut être réemployé que s'il en formule la demande par lettre recommandée au plus tard un mois avant l'expiration du congé. A défaut d'une telle demande formulée en temps utile, l'agent est considéré comme démissionnaire. 3° L'agent non titulaire définitivement inapte pour raison de santé à reprendre ses fonctions à l'issue d'un congé de maladie, de grave maladie, d'accident du travail, de maladie professionnelle ou de maternité, de paternité ou d'adoption est licencié. ;
Considérant que la décision d'éviction attaquée du 24 avril 2006 se fonde sur les
articles 12 et 17-2 précités pour justifier le licenciement pour inaptitude à l'issue de l'épuisement des droits de l'intéressée ; qu'il résulte de l'instruction que le droit de l'intéressée à épuiser son congé sans solde a été respecté, dès lors que, réintégrée physiquement à compter du 1er septembre 2004, elle a rencontré des difficultés d'adaptation, compte tenu de son état de santé et de son traitement médical, de sorte qu'elle a immédiatement été placée en congé de maladie ordinaire, 3 mois à plein traitement jusqu'au 30 novembre 2004, puis 3 mois à mi-traitement jusqu'au 28 février 2005, avant d'être placée en congé sans solde pendant un an jusqu'au
28 février 2006, puis d'être licenciée le 24 avril 2006 ; que si l'article 17-2 précité dispose que cette durée d'un an de congé sans solde peut être prolongée de six mois s'il résulte d'un avis médical que l'agent sera susceptible de reprendre ses fonctions à l'issue de cette période complémentaire, en l'espèce, l'avis du comité médical départemental s'est au contraire prononcé pour une inaptitude définitive à reprendre les fonctions ;
Considérant, en quatrième lieu, qu'il résulte de l'instruction que lors de la réintégration physique susmentionnée du 1er septembre 2004, l'intéressée a rencontré des difficultés d'adaptation compte tenu de son état de santé et de ses nouveaux horaires de travail ; que l'administration a alors saisi le comité médical départemental d'une demande d'avis sur la compatibilité de ces horaires avec l'état de santé de l'intéressée, et que le comité médical départemental s'est finalement prononcé sur l'inaptitude totale et définitive aux fonctions exercées sans que l'intéressée ait été mise à même de pouvoir présenter ses observations, comme l'a estimé le Tribunal dans le litige en excès de pouvoir qui n'est plus contesté en appel ; que cette violation du principe du contradictoire lors du second licenciement pour inaptitude physique est constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration et qui présente un lien de causalité suffisamment direct avec le préjudice moral invoquée par l'appelante ; qu'en outre, le premier licenciement, pour insuffisance professionnelle, de l'intéressée a été annulé par la Cour de céans pour une illégalité interne ; qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en allouant à l'appelante la somme de 3 000 euros au titre de son préjudice moral ; qu'en application des articles 1153 et 1154 du code civil, cette somme doit être augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la réclamation préalable reçue le 23 juin 2006 et du produit de leur capitalisation au 19 septembre 2008, date la première demande de l'anatocisme, et à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la partie intimée à payer à l'appelante la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement attaqué n° 0605840 du 30 juin 2008 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions indemnitaires de Mme A.
Article 2 : L'Etat (ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative) est condamné à verser à Mme A une indemnité de 3 000 (trois mille) euros.
Article 3 : Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 23 juin 2006. Les intérêts au taux légal porteront intérêts au 19 septembre 2008, et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 4 : L'Etat (ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative) est condamné à verser à Mme A la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre des frais exposés et non compris les dépens.
Article 5 : Le surplus des conclusions de Mme A est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Hélène A et au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative.
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